Mucoviscidose et prise en charge multidisciplinaire
Regards croisés de Christine Boulenger & Raphaël Chiron sur les implications, modalités et bienfaits de la prise en charge multidisciplinaire dans la gestion de la mucoviscidose
Une prise en charge multidisciplinaire est essentielle pour les patients atteints de mucoviscidose. Toutes les équipes sont en effet mobilisées au quotidien pour maintenir la fonction respiratoire, l’état nutritionnel, la qualité de vie de leurs patients et les accompagner au long cours pour prévenir et détecter précocement les difficultés ou complications. Les enjeux de cette prise en charge sont essentiels et vont bien au-delà des limites géographiques des CRCM. Christine Boulenger, infirmière coordinatrice au CRCM de Rouen et Kinésithérapie et Raphaël Chiron, pneumologue et responsable du CRCM de Montpellier partagent leurs réflexions sur la prise en charge multidisciplinaire.
Quelles sont les modalités de coordination que peut mettre en place l’infirmier ?
L’approche pionnière de prise en charge multidisciplinaire de la mucoviscidose a apporté des résultats spectaculaires et a permis de renforcer les rôles des différents membres de l’équipe, notamment celui de l’infirmier. « Les missions de départ sont assez définies depuis la création des CRCM mais demeurent variables d’un centre à l’autre – on le voit bien au quotidien puisqu’on communique beaucoup entre centres. Certains vont être force de proposition en ETP, dans le développement d’un réseau de soins, dans la pratique avancée infirmière. Concernant la pratique avancée, il est peut-être préférable de parler de délégation des tâches dans l’état actuel des choses…Toutes ces actions ont permis aux CRCM d’atteindre un niveau d’expertise. » explique Christine Boulenger.
« L’infirmière coordinatrice est et demeure un lien intra et extrahospitalier pour accompagner les patients tout au long de leur vie ; dans les programmes d’ETP, pour trouver des professionnels en ville ou pour créer des liens avec d’autres CRCM par exemple. Ce lien, qui s’inscrit dans la durée, illustre parfaitement la continuité des soins. »
« A toutes les étapes de la vie, les équipes CRCM assurent le suivi et notamment la transition à l’adolescence d’une équipe pédiatrique vers une équipe adulte. Les CRCM peuvent être mixtes ou pour adultes ou pour enfant et chaque équipe a sa méthodologie pour assurer au mieux cette transition. Les équipes mixtes ont l’avantage d’avoir une seule cellule de coordination mais souvent, les autres professionnels sont différents. Très tôt dans la vie, les familles et les patients sont étroitement impliqués pour les soins et l’éducation thérapeutique. Les patients reçoivent une quantité importante d’information par l’ensemble des professionnels d’une équipe pluridisciplinaire et l’on voit l’importance d’une coordination de qualité. Une transition réussie implique l’adhésion des parents et de l’adolescent mais également des équipes qui s’occuperont du patient (en général service de pneumologie) et les équipes pédiatriques. Une des clés du succès est l’autonomie le plus tôt possible dans la vie et l’évocation de ce grand changement bien avant l’adolescence. Outre cette transition, les annonces difficiles telles que la gastrostomie, un diabète, une première perfusion, une chambre implantable, la transplantation… nécessiteront également une parfaite coordination de l’information et des soins. L’infirmière coordinatrice et le médecin coordinateur sauront organiser les soins selon leur importance, leur priorité après réflexion d’équipe et d’échanges multiples avec les familles et les patients. Depuis la création des CRCM nul doute que ce socle de coordination fait la qualité de la prise en charge globale et notamment de la transition de l’enfance vers l’adulte.» ajoute Raphaël Chiron.
Quels retours sur l’optimisation de la prise en charge offerte par les CRCM depuis 2002 ?
« L’infirmier est au cœur de la pratique multidisciplinaire, au cœur de l’équipe, au cœur du CRCM – c’est l’interlocuteur privilégié pour les familles, les patients mais aussi l’interlocuteur privilégié au sein même du CRCM car il a généralement une vue globale du patient ce qui permet en fonction des différentes problématiques d’orienter vers un professionnel ou autre. L’infirmière est l’interlocuteur téléphonique principal. Il a un rôle d’éducation, de conseil, il est un support psycho social important, il va être là tout au long du parcours, va pouvoir soutenir à chaque étape. A Rouen, comme notre CRCM est mixte, l’infirmière suit le patient tout au long de sa vie, il sera là dès l’annonce du diagnostic, au moment de la transition, au moment des aggravations, sur un projet d’enfant ou de transplantation notamment. » poursuit-elle.
« Avec l’expérience, bien sûr, je vois les obstacles, mais de nouveaux outils et des pratiques différentes de la médecine telle que la prise de décision partagée peuvent permettre d’éviter les écueils. Les parents et le patient surtout, partagent nos décisions avec au préalable une information honnête des différentes possibilités thérapeutiques. Le patient est devenu expert de sa maladie. Il nous dirige pour mieux décider. on travaille avec les parents et le jeune malade le plus tôt possible et on parvient le plus souvent, avec cette vision multidisciplinaire exemplaire dans nos CRCM, à optimiser le parcours, l’information et la prescription personnalisée. C’est un moyen efficace de favoriser l’observance thérapeutique tout en respectant le mode de vie particulier de chaque patient. » précise Raphael Chiron.
Comment optimiser la prise en charge avec les parents et les acteurs de l’ETP en plus de la prise en charge multidisciplinaire ?
« Nous sommes tous concernés par l’éducation thérapeutique, ça nous permet de savoir où en est le patient par rapport à sa maladie. Soigner un patient qui ne connaît pas sa maladie est très compliqué, il est donc essentiel de faire un diagnostic pour évaluer les connaissances du patient afin d’optimiser sa prise en charge. Ce n’est pas propre à l’infirmière coordinatrice, mais à Rouen c’est souvent les infirmières qui se charge du diagnostic éducatif. Pour ce qui est des séances d’ETP, tous les membres de l’équipe pluridisciplinaire (kinésithérapeute, diététicien, psychologue) sont concernés, chacun apportant son expertise. Il est important que chaque membre de l’équipe puisse évaluer ces séances d’ETP. » explique Christine Boulenger.
Les formations à l’ETP sont donc essentielles pour les professionnels afin d’accompagner les enfants et les parents. « On a tous été formés sur l’ETP, on a la chance d’avoir un groupe national le GETHEM (Groupe Education Thérapeutique et Mucoviscidose) qui offre des outils et des supports. Reste que les ressources et le temps manquent et globalement on a l’impression que cela pêche sur ces questions – peut-être que l’idée de l’ETP s’essouffle auprès de certaines ARS. » constate Christine Boulenger.
« La prise en charge par les CRCM est un modèle, tous les patients sont suivis et si des échappements existent ; le succès est là. En termes d’ETP, il faut réellement favoriser le travail en direct avec les jeunes patients ; les parents doivent accepter de se mettre en retrait et nous devons en tant que professionnels favoriser des consultations seul à seul avec les jeunes patients. Parfois c’est difficile à expliquer aux parents, mais on se rend compte aussi que certains jeunes, notamment adolescents, sont en attente de cette autonomie et que c’est la clé pour qu’ils aient un parcours de soins adéquat tout au long de leur vie. »
« Encore une fois, l’autonomie du patient vis-à-vis de sa maladie et de ses soins aide à améliorer l’observance et la qualité de vie. Tout cela s’obtient à la suite d’une multitude de visites et d’interventions sur le mode de l’éducation thérapeutique et que la prise de décision partagée couronne. Mais cette autonomie ne s’acquière pas facilement. Le vécu des parents n’est pas toujours facile. Nous demandons aux parents de quitter la salle de consultation, de laisser leur enfant dire ce qu’il ressent les mettant parfois en difficulté. Il faut être rassurant avec empathie vis-à-vis de l’entourage proche de l’enfant comme à l’âge adulte avec ses complications qui prennent de plus en plus de place. » ajoute Raphaël Chiron.
“L’essentiel est de bien connaître son patient, de bien vérifier régulièrement qu’il connaît bien sa maladie et de repérer les signes d’alerte.”
Quels sont les retours patients en termes de prévention, soins et prises en charge médico-sociales et sociales ?
La communication est essentielle tout au long du parcours. Et la prise en charge multidisciplinaire est une clé de voûte de l’évolution du parcours de soins en termes de prévention, soins et prise en charge. Tous les patients pris en charge au sein d’un CRCM témoignent d’évolution manifestes dans leur parcours.
« Moi j’ai la chance d’être là depuis 2002, et l’évolution en termes d’espérance de vie est considérable, l’âge médian est aujourd’hui de 40 ans ! Les changements induits par la création des CRCM dans la prise en charge et les nouveaux traitements ont offert aux patients une amélioration considérable de leur qualité de vie. La prise en charge multidisciplinaire, les changements de galéniques, l’observance qui de fait a été optimisée, l’arrivée de nouvelles classes thérapeutiques qui offrent des perspectives d’avenir – et puis l’organisation même, la centralisation des patients dans un centre multidisciplinaire expert a tout changé et on le constate tous les jours ! Les voir de façon systématique, au moins 4 fois par an pour ceux qui vont bien, permet de renforcer la prévention et d’optimiser le suivi. On les accompagne au mieux, on leur propose de nouvelles thérapeutiques, on les aide dans leurs démarches quotidiennes. Les patients peuvent aussi participer à des essais cliniques – c’est toute une nouvelle façon de faire pour les entourer durant tout leur parcours et cela porte indéniablement ses fruits. » précise avec satisfaction Christine Boulenger.
Depuis l’organisation des soins dans des CRCM, les patients atteints de mucoviscidose sont principalement pris en charge en ambulatoire, au domicile avec des mises au point pluridisciplinaire au CRCM régulièrement. « Nous sommes tous très habitués à communiquer très régulièrement avec eux – bien avant la télémédecine – et à faire des points réguliers pour évaluer leur état de santé et réaliser des évaluations à distance. Cela nous permet d’être très facilement à leur écoute et de les aider tout en leur évitant par exemple de venir au centre, ce qui est indéniablement un bienfait quand on est en zone rurale par exemple. » précise Raphaël Chiron.
Les jeunes patients atteints de mucoviscidose suivis depuis la naissance au CRCM en tirent un grand bénéfice. Indépendamment des innovations thérapeutiques, leur état clinique est meilleur qu’avant l’ère des CRCM. La problématique de soins est probablement plus complexe à l’âge adulte puisque c’est l’âge des complications liés à la maladie, ou aux soins ou à l’âge. La coordination des soins et des examens est un réel défi.
Les patients sont globalement bien pris en charge et suivis grâce aux CRCM et l’idée est aujourd’hui d’être plus axés sur les questions d’adulte, sur le vieillissement et les comorbidités. « Leurs retours sont très positifs, ils sont tous très entourés par les CRCM, par les professionnels en ville et par des associations. Aujourd’hui ils connaissent leurs droits et sont presque tous reconnaissant d’être au sein d’un tel parcours de soins ! » précise Christine Boulenger.
Comment garantir la qualité du parcours patient sur l’ensemble des étapes qu’il traverse en réponse aux spécificités de sa maladie et de sa situation individuelle ?
« L’essentiel pour moi est de bien connaître mon patient, de bien vérifier régulièrement qu’il connaît bien sa maladie – en utilisant parfois des conducteurs d’éducation thérapeutique – et de repérer les signes d’alerte. » précise Christine Boulenger.
Il s’agit surtout de laisser aucun patient échapper du parcours, notamment pour ceux qui vont mieux et qui peuvent devenir moins observant « la lassitude est bien là parfois, mais globalement, même si on peut constater des relâchements, ils se soumettent de bonne grâce au suivi. » précise Christine Boulenger. C’est le patient lui-même qui est la meilleure garantie, en ayant pris conscience de ses besoins, de la nécessité des soins et des bienfaits que cela peut représenter pour sa qualité de vie globale.
Les coordinateurs sont essentiels et « là où il y encore du travail, c’est sur la question des liens avec la ville. Il est essentiel de développer les réseaux et de pouvoir avoir des liens pour faire des VEMS à distance, pour avoir des évaluations à distance, pour avoir des professionnels en ville qui soient réellement formés à la mucoviscidose. C’est sans doute le point qui nous restent à optimiser pour que la prise en charge soit globale et efficiente du CRCM à la ville tout au long de la vie des patients » conclut Raphaël Chiron.
La mise en place des CRCM et la prise en charge multidisciplinaire a été marquée par une diminution des séjours en hospitalisation complète et la mise en place d’une continuité des soins en ville. Ce virage a transformé la prise en charge de la mucoviscidose et la vie des patients. La prise en charge de la mucoviscidose est un exemple pour la prise en charge des maladies chroniques et ne cesse de faire l’objet d’ajustements et d’améliorations pour optimiser plus encore tout le parcours de soins des patients.
Pour aller plus loin
Le rôle de la nutrition
dans la prise en charge
Négocier avec les adolescents
La coordination ville-hôpital
Information médicale
Une question sur un produit ? Un article que vous souhaitez consulter ? Besoin d'aide pour vos recherches bibliographiques ? Nous pouvons vous aider.
Poser une question
Télécharger un article
En savoir plus sur un produit
M-FR-00000467-1.0 - Décembre 2020