Scientifique
17/10/16
CRISPR/Cas9, les nouveaux ciseaux du génie génétique
Dans le domaine de la génétique et des applications liées aux biotechnologies, les évolutions sont nombreuses, les révolutions le sont un peu moins. Néanmoins, avec le potentiel énorme de CRISPR/Cas9, il y a fort à parier qu’un pas important a été franchi en matière de génie génétique. Reste à voir les utilisations qui en seront faites et les garde-fous mis en place.
Il suffit de s’intéresser de près au sujet pour en mesurer l’impact : tous les chercheurs dans le domaine de la génétique ne tarissent pas d’éloge à l’égard du potentiel de CRISPR/Cas9 découvert par les chercheuses Emmanuelle Charpentier, actuellement directrice de l’Institut Max Planck à Berlin et Jennifer Doudna de l’université de Berkeley.
Scientifique
17/10/16
CRISPR/Cas9, les nouveaux ciseaux du génie génétique
CRISPR/Cas9, qu’est ce que c’est ?
Sous ce drôle de nom de code se cachent des morceaux d’ADN (CRIPSR pour « Clustered regularly interspaced short palindromic regions ») associés à une protéine, une enzyme pour être plus précis, du nom de Cas9 (pour CRISPR-associated protein 9) qui a la capacité de découper l’ADN.
L’association des deux systèmes, CRISPR et Cas9, permet de cibler l’ADN en des points précis et de le découper pour retirer – par exemple – des séquences défectueuses. On imagine l’énorme potentiel que peut recéler cette découverte.
Schéma explicatif issu de M/S n°11, vol.31, novembre 2015 (http://www.medecinesciences.org/articles/medsci/pdf/2015/12/medsci20153111p1014.pdf)
D’où vient ce duo CRISPR/Cas9 ?
La découverte des CRIPSR/Cas9 date des années 1980 : Yoshizumi Ishino et son équipe (université d’Osaka, Japon) identifient les CRISPR en tant que séquences d’ADN chez la bactérie Escherichia coli ; combinées au complexe protéique Cas9, ces séquences forment un système hybride acide nucléique/protéine identifié comme un système de défense primitif de la bactérie contre les attaques virales.
Ce n’est que plus tard, avec les travaux de Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna que les chercheurs se rendent compte que ce couple CRISPR-Cas9 permet de couper l’ADN en des endroits précis (des séquences particulières de l’ADN) et qu’une fois la coupure effectuée, les extrémités peuvent être recollées par génie génétique : on peut alors couper aisément l’ADN, insérer des séquences spécifiques, en supprimer, voire ajouter des mutations.
Passer de la haute-couture génétique à la production en série
Ce que CRISPR/Cas9 apporte aux biotechnologies ? Un formidable bond en avant. Car l’utilisation du système CRISPR/cas9 apporte un gain de temps particulièrement précieux sans engendrer de coûts élevés. Sur ce dernier point, c’est notamment le ciblage de l’ADN en des points précis qui apporte un vrai plus aux manipulations génétiques : là où auparavant les cassures étaient induites de manière plus ou moins hasardeuses pour tenter de remplacer un gène, avec CRISPR/Cas9, on peut cibler préférentiellement une zone précise de l’ADN. Le gain de temps est énorme ! Le travail sur les souris ou drosophiles (= de petites mouches fréquemment utilisées en génétique) est plus rapide car l’obtention des générations de mutants est particulièrement ciblée. Plus de tâtonnement !
Quelles applications possibles pour CRISPR/Cas9 ?
Avec ce système, toutes les manipulations génétiques sont imaginables : retirer un gène malade, ajouter un gène qui confère à l’organisme greffé des particularités (résistance face à certaines maladies), remplacer une copie défectueuse d’un gène par sa copie normale.
Des travaux de recherche ont d’ores et déjà été menés sur les souris, les drosophiles, le rat ou encore le poisson-zèbre pour des pathologies telles que le cancer, la cataracte ou la dystrophie de Duchenne (voire la malaria en modifiant le génome du Plasmodium Yolii, l’agent de la malaria chez les souris) ; des modèles de maladies humaines héréditaires ont également été étudiés chez le porc et le singe.
Chez l’homme, pour le moment, les recherches se sont tournées vers la culture cellulaire et les embryons. Non sans susciter une foule de questions et de polémiques.
Lire aussi « CRISPR/Cas9, une nouvelle donne pour la thérapie génique» dans M/S N°11, vol.31, novembre 2015 http://www.medecinesciences.org/articles/medsci/pdf/2015/12/medsci20153111p1035.pdf
L’éthique face à CRISPR/Cas9
En effet, nombreuses sont les questions éthiques soulevées par l’usage de CRISPR/Cas9. Si pour les chercheuses à l’origine de la découverte, CRISPR/Cas9 est un formidable outil qui pourrait permettre de soigner certaines maladies dont le cancer, d’autres y voient des sources de débordement qu’il convient d’encadrer. Interrogée dans le journal Le Monde, Jennifer Doudna, co-découvreuse a estimé que « la question éthique est de savoir qui veut appliquer ces techniques, qui y a accès, qui décide de les employer, et dans quel but. Est-ce acceptable si c’est uniquement à visée thérapeutique, ou aussi pour répondre au désir de parents d’avoir des enfants plus grands, aux yeux bleus ?».
C’est en effet l’application de la technologie à l’homme qui pose de nombreuses questions, surtout si l’on touche à la lignée germinale, celle qui se transmet de générations en générations. Mais les questions éthiques s’étendent également aux questions environnementales : l’application de ces recherches au contrôle voire à l’éradication d’espèces nuisibles (comme le moustique, vecteur de nombreuses maladies) ne risque-t-il pas de désorganiser l’équilibre de l’environnement ?
- La saisine du comité éthique de l’INSERM sur CRISPR/Cas9 : https://www.inserm.fr/recherche-inserm/ethique/comite-ethique-inserm-cei/notes-comite-ethique-en-reponse-saisines
- Lire l’avis de l’Académie de médecine sur les modifications du génome des cellules germinales et des embryonshttp://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2016/04/Vesrion-bulletin-11.pdf
L’avenir ?
Les recherches continuent autour de CRISPR/Cas9. D’autres équipes ont aussi réussi à cibler spécifiquement l’ARN – un support génétique mono-brin (là où l’ADN est un double brin) plus proche des produits finis, les protéines – pour pouvoir aussi le modifier ou en moduler l’activité avec une autre protéine (C2c2). Des brevets ont d’ores et déjà été déposés pour protéger ces découvertes.
- CRISPR/C2c2 et l’ARN : http://zlab.mit.edu/assets/reprints/Abudayyeh_OO_Science_2016.pdf
Bibliographie complémentaire
- Les travaux de Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna parus dans Science : « A Programmable Dual-RNA–Guided DNA Endonuclease in Adaptive Bacterial Immunity » – Science, Vol 337, Issue 6096, 17 August 2012 (http://genetics.wustl.edu/bio5491/files/2013/03/Jinek-et.-al.-2012.pdf)
- Pour aller plus loin : un n° spécial de Nature sur CRISPR http://www.nature.com/news/crispr-1.17547
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