Économie de la santé
08/03/16
Évaluation des produits de santé : décryptage du rapport de Dominique Polton
Le 10 décembre dernier, à l’occasion du Programme Roche en Economie de la Santé, Dominique Polton, conseillère auprès du Directeur général de la Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), a présenté les conclusions de la mission qu’elle a dirigée sur « la réforme des modalités d’évaluation des médicaments ».
Le contexte
Commandé par la Ministre de la Santé fin 2014 lors de l’examen du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2015, le rapport de Dominique Polton, remis fin 2015, formule des propositions concrètes pour améliorer la lisibilité des critères d’évaluation des médicaments en vue de leur admission au remboursement et de pérenniser le financement de l’innovation thérapeutique. Pour répondre à la lettre de mission qui lui a été adressée en mars 2015, Dominique Polton et les experts de son groupe de travail ont d’abord réalisé un état des lieux. « Il y a aujourd’hui une double évaluation de la part de la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé dont une partie, le Service médical rendu (SMR), sert à statuer sur le remboursement ou non d’un médicament et sur le taux de ce remboursement, a expliqué Dominique Polton. Pour certains médicaments, cette analyse est renforcée par une analyse médico-économique avec un avis d’efficience. »
SMR et ASMR : des indicateurs à revoir
La première difficulté pointée du doigt est liée au travail de la Haute autorité de santé (HAS). « Le SMR et l’Amélioration du service médical rendu (ASMR) se recouvrent de plus en plus » (lire encadré), observe Dominique Polton. À l’origine, le SMR a en effet été élaboré pour être un indicateur absolu de l’intérêt d’un produit. « Mais l’aspect comparatif a augmenté au fil des années », constate l’experte. Ainsi, la HAS conçoit de plus en plus son évaluation par rapport aux autres médicaments existants. La notion de SMR absolu a, de ce fait, pratiquement disparu. En outre, le SMR recoupe un grand nombre de critères : efficacité-tolérance, place dans la stratégie thérapeutique, gravité de l’affection, caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux, intérêt pour la santé publique… « Mais un seul compte vraiment : il s’agit de l’efficacité-tolérance, précise Dominique Polton. Le SMR et l’ASMR ont donc tendance à se confondre. »
Autre sujet de réflexion sur la méthode de la HAS : la différence des méthodes utilisées pour évaluer ASMR et SMR. « En effet, indique Dominique Polton, les textes fixent explicitement la liste des critères de jugement qui fondent l’appréciation du SMR. Mais ce n’est pas le cas pour l’ASMR qui relève d’une appréciation globale de l’ampleur du progrès thérapeutique apporté par le médicament (formulée produit par produit, sans que les critères de son évaluation soient clairement énoncés et fondés sur une gradation explicite, NDLR), en comparaison aux stratégies thérapeutiques disponibles à la date de l’évaluation. Il y a donc un risque que les évaluations ne soient pas reproductibles ni lisibles de l’extérieur ». Le taux de remboursement d’un médicament est donc aujourd’hui fixé en fonction de la valeur relative du produit qui arrive sur le marché par rapport aux traitements déjà existants et non pas en raison de ses qualités intrinsèques. « Cela construit un système de remboursement qui finit par ne pas être très cohérent », conclut Dominique Polton.
Poursuivre l’évaluation post-AMM
La deuxième difficulté mise en exergue par le rapport est le niveau d’incertitude auquel est confronté l’évaluateur, donc la HAS, au moment où le produit est soumis pour évaluation. « Il faut construire un système de suivi post-Autorisation de mise sur le marché (AMM) qui permette, lorsque le médicament est admis au remboursement, de poursuivre l’évaluation », suggère Dominique Polton.
Renforcer l’évaluation médico-économique
Par ailleurs, le rapport revient sur la place de l’évaluation médico-économique dont la modélisation théorique inquiète les industriels. Si« cette critique n’est pas suffisante pour disqualifier la démarche », estime Dominique Polton, elle admet toutefois que « d’une certaine manière, l’objet profond de l’évaluation médico-économique est d’avoir un minimum de transparence sur ce qu’apportent les produits qui arrivent sur le marché en termes de valeur ajoutée par rapport à ce qu’ils coûtent. »
Médicament en vie réelle : un système de surveillance à améliorer
Parmi les autres points d’achoppement constatés par les experts, figure la difficulté à construire un système « permettant une surveillance du médicament en vie réelle ». Et ce, d’autant, ajoute Dominique Polton, que, lorsqu’il est prescrit, « nous ne sommes pas en capacité de vérifier son usage par rapport aux recommandations ». Ce qui empêche de savoir si les promesses du médicament sont ou non confirmées. « Si nous parvenions à disposer des données cliniques recueillies par les praticiens au moment de la prescription, nous aurions en France un système fabuleux qui serait unique dans la compétition internationale, souligne-t-elle. Construire ce type de système dans des domaines prioritaires comme l’oncologie fait partie de nos propositions. »
Une gouvernance éclatée
Enfin, le rapport met en exergue les difficultés liées à une gouvernance éclatée entre des institutions qui se succèdent tout au long du parcours du médicament : l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), la HAS, le Comité économique des produits de santé (CEPS), la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts). Chacun a une mission particulière et il faudrait, insistent les experts, parvenir à partager les données de chacune pour consolider une vision globale de chaque médicament.
SMR et ASMR : quelles différences ?
- Le Service Médical Rendu (SMR), établi par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) évalue le produit sur les critères suivants : efficacité, sécurité, caractère préventif, symptomatique ou curatif, gravité de l’affection et intérêt en terme de santé publique. Il permet de définir un taux de remboursement et s’exprime en différents niveaux : important (taux de remboursement à 65%), modéré (35%), faible (15%) ou absence de SMR.
- L’Amélioration du service médical rendu (ASMR) compare les médicaments déjà commercialisés dans la même classe médicamenteuse. L’Afssaps évalue l’ASMR selon cinq niveaux en terme d’amélioration de l’efficacité et/ou du profil d’effets indésirables et/ou de la commodité d’emploi. (« amélioration majeure », « mineure », « modeste », « difficile à préciser », etc)
Des pistes de réflexion
Le rapport de la mission propose aussi des pistes de réflexion concernant les critères d’admission au remboursement et la négociation des prix. En voici quelques exemples.
- Faut-il modifier le couple SMR/ASMR ?
« Il est nécessaire de faire évoluer le couple SMR/ASMR, soit avec une simplification et une clarification des critères avec maintien de deux indicateurs, soit avec une évolution vers un taux de remboursement unique et un critère d’évaluation unique, soit avec un critère d’évaluation unique et le maintien de taux différenciés », explique Dominique Polton. - Consolider l’évaluation médico-économique
Le rapport préconise de maintenir le principe de l’évaluation médico-économique en pré-inscription, et d’accroître progressivement son utilisation. - Doit-on modifier le système de remboursement des médicaments ?
Le rapport suggère un mécanisme de remboursement temporaire pour des produits présentant des incertitudes sur leur promesse en vie réelle. « Pourquoi ne pas mettre en place un mécanisme dans lequel on rembourse un médicament avec une exigence de collecte de données sur cinq ans pour parvenir à y voir plus clair en vie réelle ? », suggère ainsi Dominique Polton. - Comment faire évoluer la prescription ?
Pour les experts de la mission, il faudrait également étudier les possibilités de mieux différencier les prises en charge selon les indications et les sous-populations, et mieux encadrer la prescription. - Faut-il revoir le processus d’évaluation ?
Concernant le processus d’évaluation, le rapport propose de réduire les délais pour l’inscription au remboursement et d’améliorer le contenu des avis de la commission de la transparence de la HAS et du Comité économique des produits de santé (CEPS). - Comment financer l’innovation ?
Sur la question du prix et de l’innovation, le rapport ne formule aucune recommandation précise. Il s’interroge néanmoins : comment assurer à la fois la promotion de l’innovation, l’accès des patients aux thérapies innovantes, la soutenabilité des systèmes de santé, la gestion de l’incertitude sur les bénéfices en vie réelle et l’usage optimal des traitements ?
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