Économie de la santé
23/09/19
Tarification à la qualité : de quoi parle-t-on ?
La qualité et la pertinence des soins sont au cœur du plan « Ma santé 2022 ». Or, aujourd’hui, les modes de financement ne les prennent pas suffisamment en compte. D’où l’idée d’introduire un paiement à la qualité avec de nouveaux indicateurs. En attendant les résultats des expérimentations de nouvelles modalités de financement réalisées dans la cadre de l’article 51 et la fin des travaux préparatoires à cette réforme d’envergure à venir, quels sont les enjeux identifiables ?
« Favoriser la qualité, c’est assurer au patient qu’il recevra le bon soin par le bon professionnel au bon moment (la pertinence des soins) » explique le plan « Ma Santé 2022 » présenté en septembre 2018 par le gouvernement. Le dossier précisait qu’il s’agissait de « prendre davantage en compte son vécu et ses retours d’expérience », mais aussi de lui « donner accès à une information qui lui permette de devenir acteur de sa santé ».
La qualité et la pertinence des soins ne sont pas des idées nouvelles. Depuis plusieurs années, ces éléments sont pris en compte en particulier par la Haute autorité de santé (HAS) dans le cadre de la certification. La satisfaction des patients n’est pas non plus absente des dispositifs avec le questionnaire e-Satis qui la mesure au niveau national pour les séjours de plus de 48 heures en MCO (Médecine-Chirurgie-Obstétrique) et devrait être étendu aux autres secteurs d’hospitalisation (HAD, SSR). Cependant, il s’agit aujourd’hui d’aller plus loin encore dans ces démarches. S’appuyant sur l’observation de modèles étrangers et d’expérimentations, le rapport de la « task-force » pour la réforme du financement du système de santé, pilotée par Jean-Marc Aubert, considère que si des mesures structurelles et organisationnelles sont essentielles, elles doivent s’accompagner de mesures financières.
Des nouveaux modes de financement
À côté du volet qualité du Contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (Caqes) passé entre les ARS, les établissements de santé et l'Assurance Maladie, un programme d’Incitations financières à l’amélioration de la qualité (IFAQ) a été mis en œuvre depuis 2015. Il s’est généralisé en 2016 et a été renforcé en 2019. Il a pour objectif de favoriser la qualité et la sécurité des soins. Mais, malgré les évolutions récentes (voir encadré), il apparaît encore incomplet. Selon le rapport Aubert, le financement à l’activité « favorise insuffisamment la qualité, la prévention et la coordination et peut inciter à la réalisation de soins non pertinents ». Il propose donc de réduire la part des paiements liés à l’activité jusqu’à 50% du total des recettes et de mettre en œuvre des modes de financement combinés. Trois grandes propositions concernent l’hôpital :
- l’extension et l’amplification du financement à la qualité, adapté à l’ensemble des secteurs de l’hospitalisation (MCO, SSR et psychiatrique…), et qui représenterait environ 2 milliards d’euros (2 % du total des financements des soins hospitaliers) en 2022 ;
- la montée en charge progressive de forfaits « pathologies chroniques » ;
- la mise en œuvre d’une dotation populationnelle (c.-à-d. modulée en fonction des caractéristiques démographiques et socio-économiques de chaque territoire), lorsque le volume d’activité des soins est lié, en totalité ou pour partie, à une autorisation d’activité structurante pour l’offre de soins sur un territoire. Cela est le cas notamment en psychiatrie, secteur où cette modalité d’allocation devrait voir le jour en priorité. Ce serait aussi le cas des urgences hospitalières, dont le mode de financement doit être réformé.
À terme, la qualité doit devenir « un compartiment de financement à part entière » et concerner l’ensemble des structures et des professionnels « autour de principes unifiés : nombre réduit d’indicateurs régulièrement renouvelés pour que les dispositifs soient compréhensibles et incitatifs, diffusion publique des résultats ». Ce qui suppose de concevoir des indicateurs de qualité fiables et concrets pour les professionnels. La Haute autorité de santé (HAS) a annoncé le 17 juillet 2019, qu’elle mettait en place un dispositif national de recueil d’indicateurs de qualité et de sécurité des soins (IQSS), s’adressant aussi bien aux établissements, qu’aux usagers et au régulateur.
Quels indicateurs ?
« Il faut développer des indicateurs de résultats, explique Roland Cash, économiste de la santé consultant. La qualité a trois dimensions : les moyens, les procédures, les résultats. Certains indicateurs sont certes parfois à la frontière entre les procédures et les résultats lorsqu’on sait que le respect de telle ou telle procédure permet d’obtenir les résultats voulus, mais un objectif important serait de développer des mesures directes des résultats de soins. » Par exemple, le délai de transmission du compte-rendu d’hospitalisation au médecin traitant constitue un indicateur important, mais il s’agit d’un indicateur de procédure. Pour autant, si cette procédure est respectée, elle conduit à une meilleure prise en charge du patient en ville.
Selon le rapport, « en complément des indicateurs existants, une place plus importante pourra être ainsi faite aux indicateurs cliniques et aux résultats des soins tels que rapportés par les patients eux-mêmes ». Il peut s’agir de l’amélioration de la capacité visuelle du patient dans son activité quotidienne après une intervention chirurgicale pour la cataracte par exemple. « Ces indicateurs, appelés Prom’s (Patient-reported outcomes measures) et Prem’s (Patient-reported experience measures), se développent à l’étranger et méritent une place centrale dans le système de santé français », note le rapport.
Un impact sur les PUI ?
Dans quelle mesure ces nouveaux indicateurs auraient un impact sur les pharmacies à usage intérieur (PUI) et les pharmaciens hospitaliers ? « Le pharmacien ne sera pas en première ligne, car les indicateurs de résultats visent plus les services cliniques, observe Roland Cash. Les PUI ont déjà des procédures à respecter. On peut cependant imaginer des indicateurs sur la conciliation médicamenteuse ou le taux de prescriptions d’antibiotiques à l’aveugle. »
De fait, le rapport Aubert traite également de la pertinence des prescriptions. Il propose ainsi d’élargir l’utilisation des indicateurs de prescription (taux de génériques, de biosimilaires, de pertinence…), en les mettant en œuvre par exemple dans le cadre d’expérimentations pour certains établissements ou professionnels. Il recommande également de faire évoluer la prise en charge des médicaments onéreux dans les établissements de santé, ce qui passerait par une révision des critères d’admission sur la liste en sus et des modalités de financement de la liste en sus « pour éviter la rupture de financement existant actuellement entre les produits hors listes en sus et les produits sur la liste en sus ».
Pour l’heure, le paiement à la qualité et à la pertinence est loin d’être encore mis en œuvre. Pour Roland Cash, il faudra aussi veiller à ne pas observer de dérive dans ce domaine. « Le risque est que les hôpitaux se focalisent sur les indicateurs ciblés par le programme d’intéressement et pas les autres », prévient-il. Quoi qu’il en soit, ce nouveau mode de financement nécessitera un changement de culture notamment pour mieux prendre en compte les différentes dimensions de la satisfaction des patients.
Le programme IFAQ
Le modèle IFAQ a déjà évolué dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. L’enveloppe financière est en effet passée de 50 millions d’euros à 300 millions. Un décret du 21 février 2019 fixe les nouvelles conditions de calcul et d'attribution de la dotation complémentaire portant sur la qualité et la sécurité des soins. Les catégories des indicateurs liés à la qualité et la sécurité sont désormais :
- Qualité des prises en charge perçue par les patients ;
- Qualité des prises en charge cliniques ;
- Qualité des pratiques dans la prévention des infections associées aux soins ;
- Qualité de la coordination des prises en charge ;
- Performance de l'organisation des soins ;
- Qualité de vie au travail ;
- Démarche de certification.
Le texte précise que, lorsqu'un établissement de santé n'obtient pas un résultat suffisant à un indicateur, l’ARS « conditionne le versement du montant de la dotation complémentaire qui doit lui être allouée au titre de l'ensemble des indicateurs à la production par l'établissement d'un plan d'action assurant son engagement dans une démarche d'amélioration de ses résultats sur cet indicateur ».
Et en parallèle des travaux sur l’évolution des modes de financement, le programme IFAQ continue à évoluer. Ainsi, en 2020, un système de malus sera intégré au dispositif afin d’inciter des établissements ne remplissant pas certains critères minimaux de qualité à rejoindre des niveaux satisfaisants.
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