Article rédigé en collaboration avec Dr Apetoh, Immunologiste et Chargé de recherche à l'Inserm Dijon.
Peut-on considérer les lymphocytes T comme les « soldats » des systèmes de défense de l’organisme ?
L’analogie entre notre système immunitaire, qui a pour rôle d’éliminer les agents pathogènes considérés comme
« dangereux » pour l’organisme, et une armée défendant un territoire est en effet possible. On peut considérer les lymphocytes T comme les soldats de l’organisme. Il convient toutefois de ne pas les assimiler à des soldats de terrain mais à des troupes d’élite qui interviennent dans un second temps, une fois activées.
Nos lymphocytes ont également une autre fonction qui est de conserver en mémoire les caractéristiques de l’agresseur (agent infectieux et/ou cellule tumorale) pour permettre un redéploiement et une attaque plus rapide, plus forte et plus durable lorsque l’agresseur sera de nouveau détecté par des cellules dendritiques, les éclaireurs du système immunitaire, infiltrés dans les tissus.
Il existe en effet une hiérarchie au sein des troupes que constitue le système immunitaire.
Certaines cellules, les cellules du système immunitaire inné comme les cellules dendritiques, par exemple, ont une fonction de soldat de terrain et interviennent rapidement lors d’un contact avec un pathogène.
Les lymphocytes T CD4 ont plus un rôle de chef de guerre. Une fois activé par les cellules présentatrices d’antigènes (CPA) dans les ganglions lymphatiques, un lymphocyte T CD4 pourra sécréter de l’IFNg qui ensuite activera des macrophages. Ces derniers sécrèteront ensuite de l’IL-12 qui activera d’autres lymphocytes T CD4. L’idée est celle d’un dialogue entre différents types cellulaires.
Enfin, les lymphocytes T CD4 apportent également une aide aux lymphocytes T CD8, appelés lymphocytes T cytotoxiques.
(Source : Abbas AK. Les bases de l’immunologie fondamentale et clinique. 3e ed. Elsevier Masson. 2009)
Quels sont les différents types de lymphocytes T ?
Il existe 2 principaux types de lymphocytes T, les CD4 et les CD8 cytotoxiques (avec d’autres variantes, comme notamment les lymphocytes T NK « Natural Killer », par exemple). En complément de cette distinction entre CD4 et CD8, il existe également différents sous-types de lymphocytes T CD4 (Th1, Th2, Th17, Th9, Treg) dont le développement est contrôlé par divers facteurs de transcription. Ces sous-types sont spécialisés (Th1 pour le contrôle des bactéries intracellulaires, Th2 pour les parasites, Th17 pour lutter contre les infections fongiques…) et sécrètent des cytokines spécifiques en fonction du sous-type (l’IL-17 pour les lymphocytes Th17, par exemple). Ces caractéristiques distinctes au sein des sous-types de lymphocytes T ont conduit à introduire le concept d’hétérogénéité fonctionnelle des lymphocytes T.
(Sources : Abbas AK. Les bases de l’immunologie fondamentale et clinique. 3e ed. Elsevier Masson. 2009 / Peguillet I. Lymphocytes T CD4 et Immunité anti-tumorale naturelle : Impact de la chimiothérapie, Emergence de Lymphocytes T CD4 Cytotoxiques. Thèse de doctorat. 2014.)
Comment se développent les lymphocytes T ?
La maturation des lymphocytes T se déroule dans le thymus par étapes successives, souvent définies par l’expression des corécepteurs CD4 ou CD8. À partir des cellules souches hématopoïétiques ayant migré de la moelle osseuse vers le thymus, sont générés les lymphocytes pro-T, dits double négatifs car n’exprimant pas encore ni CD4, ni CD8.
La suite de la maturation des lymphocytes T passe par l’étape du lymphocyte double positif exprimant à la fois CD4 et CD8.
S’ensuit la phase de sélection des lymphocytes par présentation du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) avec le récepteur du lymphocyte T :
• Les lymphocytes T dont les récepteurs reconnaissent les complexes CMH de classe I conservent l’expression du CD8, et perdent l’expression du CD4, devenant des lymphocytes T CD8+
• Inversement, les lymphocytes T dont les récepteurs reconnaissent les complexes CMH de classe II conservent l’expression du CD4, et perdent l’expression du CD8, devenant des lymphocytes T CD4+
• Les lymphocytes T qui ne reconnaissent pas de molécule du CMH meurent par apoptose, c’est un échec de la sélection positive
• Les lymphocytes T immatures double positifs dont les récepteurs reconnaissent fortement les complexes CMH dans le thymus subissent l’apoptose. Ce phénomène, qui constitue la sélection négative, permet d’éliminer les lymphocytes T susceptibles de réagir de manière nocive contre les protéines du soi.
La capacité de reconnaître des antigènes étrangers semble être fondée sur le hasard : les lymphocytes T qui reconnaissent faiblement les antigènes du soi dans le thymus peuvent reconnaître fortement les antigènes étrangers à la périphérie et y répondre énergiquement.
(Sources : Abbas AK. Les bases de l’immunologie fondamentale et clinique. 3e ed. Elsevier Masson. 2009)
Étapes de maturation et de sélection des lymphocytes T
Comment sont activés les lymphocytes T CD4 ?
Les lymphocytes T CD4 naïfs sont des lymphocytes T matures qui n’ont pas encore été en contact avec un antigène. Ils se situent dans les organes lymphoïdes secondaires, comme les ganglions lymphatiques. Dans ces organes, les cellules présentatrices d’antigènes (cellules dendritiques, macrophages et lymphocytes B) permettent de présenter les antigènes aux lymphocytes T afin d’enclencher le processus d’activation.
Pour qu’une cellule T naïve devienne effectrice, trois signaux sont nécessaires :
1. Le premier signal est créé grâce à l’interaction entre le récepteur du lymphocyte T (TCR) avec le Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH) de classe II des cellules présentatrice d’antigènes (CPA).
2. L’interaction entre les molécules co-stimulatrices CD28 (lymphocyte T) et la molécule B7 (présent à la surface des CPA) est le second signal, il permet d’activer la prolifération clonale des lymphocytes T CD4.
3. Le dernier signal est provoqué par les cytokines sécrétées par les cellules dendritiques, qui stimulent
les lymphocytes T naïfs et favorisent leur différenciation en sous-types lymphocytaires.
(Sources : Abbas AK. Les bases de l’immunologie fondamentale et clinique. 3e ed. Elsevier Masson. 2009)
Par quels mécanismes la cellule cible est-elle détruite ?
Une fois activés, les lymphocytes T migrent via la circulation sanguine vers le site tumoral pour détruire les cellules tumorales grâce à 3 principaux mécanismes :
1. La sécrétion de cytokines effectrices, telles que les interleukines permettant de recruter et d’activer d’autres cellules du système immunitaire inné (macrophages et polynucléaires éosinophiles, par exemple)
2. La voie Fas/FasL, inductrice d’apoptose cellulaire
3. La voie perforine/granzyme, perforant la membrane de la cellule tumorale et dégradant les protéines intracellulaires de cette dernière
L’activation et l’action des lymphocytes T s’intègrent pleinement dans le cadre du cycle immunitaire anti-tumoral, présenté ci dessous, entre l’étape 3 du cycle et l’étape 7.
Le cycle immunitaire anti-tumoral
(Sources : Abbas AK. Les bases de l’immunologie fondamentale et clinique. 3e ed. Elsevier Masson. 2009 / Chen D. Oncology Meets Immunology: The Cancer-Immunity Cycle. Immunity 2013)
Comment certaines tumeurs parviennent à se rendre invisibles de nos mécanismes de défense ?
Il existe de nombreuses voies d’échappement tumoral au système immunitaire employées par les tumeurs à différentes étapes du cycle immunitaire anti-tumoral.
On peut en décrire notamment les principales réparties sur 4 des 7 étapes du cycle immunitaire anti-tumoral :
1. La réduction de l’immunogénicité par la diminution de l’expression du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH).
2. La destruction des lymphocytes T, notamment via l’expression de molécule du système Fas/FasL.
3. La désactivation des lymphocytes T via le contournement de la voie PD-1/PD-L1. Principale voie d’inhibition des lymphocytes T en conditions physiologiques normales.
4. La sécrétion de molécules, telles que l’IDO (indoleamine-2,3-dioxygenase), qui crée un environnement immunosuppresseur.
Toutes ces voies d’échappement tumoral au système immunitaire sont autant de cibles thérapeutiques potentielles sur lesquelles il est possible d’agir de façon ciblée en monothérapie ou de façon synergique en combinant les modalités thérapeutiques. L’objectif est de permettre au système immunitaire de détruire efficacement les cellules tumorales redevenues visibles pour les lymphocytes T.
(Sources : Spranger Mechanisms of tumor escape in the context of the T-cell-inflamed and the non-T-cell-inflamed tumor microenvironment.International. Immunology. 2016 / Chen D. Molecular Pathways: Next-Generation Immunotherapy— Inhibiting Programmed Death-Ligand 1 and Programmed Death-1. clin cancer res. 2012 / Gastman B. Tumor-induced apoptosis of T lymphocytes: elucidation of intracellular apoptotic events. Blood. 2000)
Les lymphocytes T sont-ils une cible dans d’autres aires thérapeutiques ?
Agir sur le système immunitaire en général, et sur les lymphocytes T en particulier, est une piste thérapeutique explorée depuis longtemps dans le domaine des maladies auto-immunes.
Ainsi, dans le cas d’une pathologie telle que la sclérose en plaques, l’emploi de cyclophosphamide à haute dose dans le but d’éliminer les lymphocytes T auto-réactifs, permet de diminuer le nombre de poussées de la maladie.
De même, l’emploi d’inhibiteurs d’intégrine présents à la surface des lymphocytes T activés, tend à empêcher ces derniers de migrer à travers la barrière hémato-encéphalique, migration corrélée à l’apparition des lésions responsable de la maladie.
Dans un autre domaine de l’auto-immunité, à savoir les maladies inflammatoires chroniques (polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante, maladie de Crohn ou encore psoriasis en plaque), depuis de nombreuses années, les anti-TNF alpha et plus récemment les anti-IL17 ont prouvé leur efficacité à diminuer le caractère inflammatoire de la maladie et permettre d’obtenir dans certains cas une rémission.
(Sources : Zephir H. Traitement des formes progressives de sclérose en plaques par le cyclophosphamide. Revue neurologique. 2002 / RCP Tysabri / RCP Humira / RCP Cosentyx)
Le concept d’agir sur le système immunitaire, et plus particulièrement sur l’action du lymphocyte T, pour lutter contre la maladie fait donc depuis longtemps l’objet de recherche et de réussites dans différents domaines de la médecine et il est heureux qu’il puisse aujourd’hui s’appliquer à la cancérologie avec l’avènement de l’immuno-oncologie.
En effet, de nombreuses voies de recherche avec de grandes perspectives thérapeutiques sont actuellement en cours d’exploration. Elles pourront permettre d’agir à toutes les étapes du cycle immunitaire anti-tumoral sur lesquelles une tumeur utilise ses mécanismes d’échappement et empêche les lymphocytes T de remplir pleinement leur rôle anti-tumoral.
(Source : Chen D. Molecular Pathways: Next-Generation Immunotherapy— Inhibiting Programmed Death-Ligand 1 and Programmed Death-1. clin cancer res. 2012)
D-16/0755 - Établi le 04/01/2017